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Des planètes bien de chez nous

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Les dieux gaulois, dont les noms ne persistent plus aujourd'hui que dans des toponymes, ont été oubliés par les Gallo-romains et remplacés ensuite par les dieux romains. Ce remplacement se fera pourtant le plus souvent en douceur : si les dieux sont romains, les traces archéologiques sur toute la durée de l'empire, sont bien souvent restées gauloises . On parle bien de Jupiter, mais on sculpte toujours Taranis avec ses attributs gaulois spécifiques, la roue solaire, un sceptre et des éclairs.

Les dieux romains seront à leur tour effacés pour cause de christianisme, qui essaiera  aussi d'effacer les dernières traces (païennes) gauloises. Il ne nous reste plus comme témoignage de leur culte en Gaule romaine que quelques toponymes — comme quoi l'Église n'est pas omnipotente. Parmi ceux-ci, quelques uns font référence à des dieux qui ont aussi servi à nommer des planètes. Les voici, par ordre alphabétique :

Jupiter, ( en latin Juppĭtĕr, génitif Jŏvis ) le roi des dieux, le « ciel père », le « père du jour » ( cf. le grec Ζεύς πατὴρ et le védique Dyauṣ Pitā ) avait bien sûr ses temples dédiés en Gaule romaine. On connaît l'emplacement d'au moins l'un d'eux à Fanjeaux dans l'Aude, noté Fano Jovis en 1154 du latin Fanum Jovis, « le temple de Jupiter ».

Employé seul, le nom du dieu apparaît, au cas accusatif Jŏvĕm, dans celui de Giou-de-Mamou ( simplement Jovis en 1378 , Cantal ) et de Gioux (Corrèze). Je termine avec un exemple étonnant quand on pense au soin que l'Église a pris pour effacer toute trace de paganisme : Juville, en Moselle, est une ancienne ecclesia Jovis villae (1177) soit une « église du village de Jupiter ». D'autres noms de lieux peuvent faire penser à Jupiter mais sont des faux amis comme Jouac (I.-et-V.) et Jouhet (Vienne) qui viennent ainsi du nom propre latin Jovius associé au suffixe -acum. Quant à l'hypothèse de wikipédia selon laquelle « le mot franco-provençal " Joux" que l'on retrouve souvent en toponymie alpine pourrait en dériver », elle est aisément réfutée en se référant aux noms anciens qui font tous référence à jugum , «crête de montagne, sommet» comme à Joux-la-Ville (Indre) qui se nommait Jugae en 1104 ou Jours (C.-d'Or) qui se nommait Jugi en 1174. Les Joux ou Joue alpins procèdent de la même étymologie. . Quant aux Joux du Jura  et du Doubs, ils dérivent du gaulois juris , « forêt de montagne » d'où vient le nom du Jura. Dans tous les cas, aucun rapport avec Jupiter.

Mars, le dieu de la guerre a eu aussi ses lieux de culte comme à Famars ( Nord), un ancien Fanum Martis (Fanomantis en 400, à lire Fanomartis puis Fanmartense en 775) ou, avec le latin templum, « temple » à Talmas ( templum Martis en 657, Somme) et à Templemars ( de Templomartis en 1182) . Là aussi le nom du dieu a fourni des noms de personnes comme Marcius ou Martius , mais aussi des Médard ( dérivé du nom d'un évêque de Noyon au VIè siècle) qui ont donné leur nom à plusieurs Mars (Allier, Ardèche, Ardennes, Gard, M.-et-M.).. Cinq-Mars-la-Pile (I.-et-L.) est une déformation de Saint-Mars où Mars est la forme locale de Médard.

Mercure, le dieu romain du commerce et messager des autres dieux a été assimilé au très populaire dieu gaulois Lug ( celui de Lyon, Lug-dunum, « forteresse de Lug »). Sans doute cela explique-t-il que Mercure soit le dieu romain le plus représenté en Gaule : Marcoux ( Mercurio villa en 1020, Loire), Mercoeur (Mercorius, 887, Corrèze et Mercoria, 911, H.-Loire), Mercuer (Ardèche), Mercuès (Mercurio, début XIè siècle, Lot) et enfin Mercus-Garabet (Ariège). Il faut, là aussi, tenir compte du fait que le nom du dieu a donné naissance à des anthroponymes comme Mercurius, eux-mêmes à l'origine de toponymes comme celui de Mercurey (S.-et-L). La prochaine fois que vous mangerez un poulet rôti, à la peau bien craquante, accompagné de grosses frites un peu charnues, faites-vous plaisir : essayez un mercurey rouge! Mercury (Savoie), Mercurol ( Drôme) et Marcorignan (Mercurianum en 782) sont tous issus de l'anthroponyme Mercurius. Rappelons au passage qu'une colline parisienne était coiffée sous l'empire Romain d'un sanctuaire de Mercure et s'appelait Mons Mercurii. C'est là que le premier évêque de Paris, Denis, accompagné du prêtre Rustique et du diacre Éleuthère, au milieu du IIIè siècle y subit son martyre, fut décapité, se releva et ramassa sa propre tête qu'il porta pendant six kilomètres avant de s'écrouler là où on bâtit la basilique qui porte son nom. Cette légende, quand l'Église connut des jours meilleurs, fit qu'on déposséda Mercure de son sanctuaire pour en faire le Mons Martyrum, le « Mont des Martyrs », autrement dit Montmartre.

Vénus, ( en latin Venus, Veneris ) la déesse de l'amour et de la beauté a, elle aussi, on s'en doute, laissé des traces. On retrouve ainsi son nom dans celui de Vendres ( de Veneris, 1140, Hérault), Port-Vendres ( Portus Veneris, Ier siècle, Pyr.-Or.) ainsi qu'à Venerque ( Venercha, 1080, H.-Gar.).

Entrée du Port à Port-Vendres , ca 1906, André Derain ( 1880-1954)

Entrée du Port à Port-Vendres , ca 1906, André Derain ( 1880-1954)

D'autres noms comme Venarey (C.-d'Or), Vendargues ( Hérault), Vendranges (Loiret) et Vénérieu ( Isère) sont, eux, issus de l'anthroponyme Venerius. Il existe sur le territoire de cette dernière un menhir qui servait à un rite de la fécondité et qu'on appelle  « Pierre-femme » (la photo étant protégée par des droits d'auteur, je ne peux que vous en donner le lien) . La ressemblance du nom de la commune avec celui de Vénus y est sans doute pour quelque chose mais une légende veut que cette pierre soit une femme à qui Dieu aurait permis de fuir un village voisin voué à la destruction, à condition qu'elle ne se retourne pas pour regarder derrière elle. Bien entendu — ah! ces femmes! — , elle désobéit et fut aussitôt pétrifiée. On voit bien qu'il s'agit là d'une adaptation du récit biblique de la femme de Loth fuyant Sodome et transformée en statue de sel.

Montvendre (Monte Vendrio en 1100 puis castrum Montis Veneris en 1157, Drôme), contrairement à l'étymologie plus que fantaisiste qu'en donne wikipedia, est bien, lui, issu du nom de Vénus.

On aura remarqué que le  latin Veneris a évolué —  après amuïssement du -e- qui a conduit à un venris  senti comme difficilement prononçable —   grâce à un -d-épenthétique , en Vendres. C'est là aussi l'origine de notre vendredi , Veneris dies, « jour de Vénus ». De la même façon, jeudi est le jour de Jupiter ( Jovis dies), Mars  celui de mardi (Martis dies ) et Mercure celui de mercredi (Mercuris dies).

P.S. : d'autres dieux romains ont été adorés en Gaule et y ont laissé des traces toponymiques. Ils feront l'objet d'un prochain billet.

 


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